10/07/2014

Philosophe pour lycéens

Les débats sur les écrivains et les philosophes font souvent rage dans mon fil twitter, chacun défendant son champion et pourfendant son ennemi sans pitié. Parfois il en ressort des considérations intéressantes sur la littérature et la philosophie, le débat est utile et passionnant. Et puis parfois... Parfois il y a des débats sur Camus et sur Sartre.

Peut-être que je cherche les ennuis mais je me fais un devoir de toujours apporter de la nuance aux adorateurs publics de Camus. Je leur parle de ses positions plus que douteuses sur la guerre d'Algérie, de son refus de la critique et de sa philosophie à géométrie variable. Bon écrivain mais pas très honnête intellectuellement. Ce à quoi on m'objecte en général : "Sartre était pire". Outre le fait que je trouve ça assez faux (mais c'est mon avis), c'est un peu fourbe de se venger sur un autre écrivain quand on critique son héros. Mais bref, d'accord, disons que j'accorde à l'argument-Sartre le droit d'exister. S'en suit souvent un débat stérile sur l'impasse qu'est la philosophie de Sartre. C'est là qu'une élève de khâgne (aucune critique de ma part sur ce point, j'ai été khâgneuse) a déclaré que Sartre n'était qu'un "philosophe pour lycéens". Et je dois avouer que ça m'a profondément agacée.

Ça ne m'a pas agacée pour Sartre, chacun pense de lui ce qu'il veut et surtout ce qu'il estime pertinent. Ça m'a fait sortir de mes gonds parce que l'expression en elle-même est purement et simplement du mépris. Parce qu'on veut dire quoi quand on parle d'un philosophe qu'on n'aime pas comme d'un philosophe pour lycéens ? On veut dire que la philosophie accessible aux plus jeunes est de la mauvaise philosophie. On veut dire que ce qu'on aime quand on n'a pas fait d'études supérieures mérite d'être traité par le mépris. 
Et quel sens ça a pour vous, au fond ? Deux ans après le lycée, c'est déjà une période de votre vie que vous trouvez méprisable ? Vous vous trouviez particulièrement bêtes quand vous étiez au lycée, incapables de comprendre une philosophie de qualité ? Ou peut-être que vous avez déjà oublié qui vous étiez ? Pire, vous vous pensiez peut-être au-dessus de la masse de ces autres terminale L qui aiment Sartre, les imbéciles.

J'ai fait khâgne moi, monsieur, je ne m'embarrasse plus des philosophes du bas-peuple, je lis du Heidegger la tête en bas. Et peu importe que contrairement à Sartre, je n'aie pas majoré à l'agrégation, peu importe que je ne me sois pas passionné pour la phénoménologie au point de lire et comprendre tout Husserl dans le texte. Peu importe que je sois encore loin du niveau pour être prof dans le supérieur. Moi, je suis en position de cracher sur un philosophe qui a accompli mille fois plus que moi, et je dis qu'être un philosophe que les jeunes comprennent, C'EST MAL. Du haut de mon petit élitisme étriqué, je décide de qui a le droit de lire de la bonne philosophie, et de ce qu'est la bonne philosophie. Vous savez, celle qui n'est accessible qu'en ayant lu trois livres de jargon qui l'expliquent.

Pour le bien de tous, il faut arrêter définitivement cet élitisme qui, apparemment, va de pair avec l'âgisme. On n'est pas plus bête à 17 ans qu'à 45. Il serait temps de le reconnaître et d'arrêter de donner l'impression aux jeunes qu'ils n'ont rien à dire, aucune opinion pertinente à exprimer et aucune voix à apporter au débat, fût-il philosophique. C'est tout pour moi.




Edit : Apparemment Camus se fait aussi beaucoup traiter de "philosophe pour classes terminale". L'élitisme ne s'arrête jamais.

3 commentaires:

  1. Bonjour chère madame,

    Vos propos sont erronés, mais pas de manière très "grave". Ils sont, plutôt qu'erronés, "inversés". Vos propos défendent en réalité Camus. L'élitisme définit Sartre et ses sbires germanopratines, issues de Normale Sup. Camus a grandi chichement dans Alger. Il n'a jamais fait ULM. Il est un étranger à Saint-Germain. Il est proche du peuple, loin des élites.

    Spécialiste de Camus, je vous invite à en découvrir 3 biographies remarquables, bien que très épaisses, qui vont vous permettre d'en apprendre davantage et peut-être vous faire remarquer que vos propos défendent Camus et écrasent Sartre (c'est loin de me déplaire).

    - Camus, Herbert Lottman : immense pavé. Vous n'en viendrez pas à bout au moins d'un grand effort. Inutile à moins de vouloir tout comprendre et de comprendre Camus de A à Z.

    - Albert Camus, fils d'Alger, d'Alain Vircondelet : remarquable, magnifique, explique très bien le conflit Sartre-Camus, très bien écrit.

    - L'ordre libertaire, la vie philosophie d'Albert Camus, par Michel Onfray : explique très clairement le conflit politique Sartre-Camus. Pavé également mais facile à lire. Vous aidera à comprendre comment Camus résista durant la Guerre et comment le couple Sartre-Beauvoir fut proche de Vichy, du communisme violent, de Mussolini.

    Je vous souhaite de très plaisantes lectures et je vous fais mes amitiés.

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    1. Il me semble que mon article a été mal lu, mon objectif n'est absolument pas de juger de l'élitisme des deux auteurs, je ne m'aventure pas sur ce terrain beaucoup trop glissant. Le débat stérile Sartre VS Camus n'est qu'une toile de fond, ce dont je débats c'est de l'invalidité de l'argument "philosophe pour lycéens" qu'on m'a déjà opposé et que je trouve vide de sens, je pense que vous en conviendrez avec moi.

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  2. Bonjour,

    J'en conviens, bien sûr ! Mais vous avez un peu tout renversé, d'où ma maladresse je pense, d'avoir cru que vous défendiez Camus, car il aura été, toute sa vie durant, la cible de ce genre de commentaires. Quelqu'un qui aujourd'hui dirait la même chose pour Sartre a un peu plus raison : non par la simplicité de la pensée de Sartre (je ne crois pas que Sartre soit simple), mais parce qu'aujourd'hui c'est bien Sartre qui est au programme du BAC, et non Camus (ou beaucoup moins.)

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